Extraits

Premières pages…

  • Bonjour Monsieur Duval, Anne Lacroix de NetPhoners, votre opérateur de téléphonie mobile, avez-vous quelques minutes à m’accorder s’il vous plaît ? »

Pour la quatorzième fois depuis qu’elle a pris son poste, il y a un peu plus d’une heure, Marilou essaie de mettre le minimum de sourire dans sa voix et de ne pas se faire raccrocher au nez. Comme on le lui a appris en formation, comme elle s’oblige à le faire depuis qu’elle exerce ce métier. Parce que ça aide à vendre et qu’elle se sait écoutée par sa supérieure qui va la noter et la débriefer en fin de journée. Quatorze, elle le sait car ces chiffres s’affichent à droite de son écran. C’est le nombre de fois où elle a dû se présenter sous ce pseudonyme d’actrice télévendeuse. Le même que portent ici toutes ses collègues. Pour les hommes, c’est Pierre Dubois. Combien de clients l’ont déjà interrogée pour savoir si c’était son vrai nom, elle ne saurait le dire. Elle se demande si ses chefs prennent les gens pour des imbéciles à vouloir que tous se présentent de la même manière, sachant que les voix au bout du fil ne sont pas identiques.

S’affichent aussi, le nombre de fois où on l’a envoyée balader avant la fin de la première phrase, les appels qui n’ont pas abouti et qu’il va falloir réitérer, le temps passé pour chacun d’eux….. Ne surtout pas perdre trop de minutes dans une vente mal engagée, c’est du temps gâché pour en réussir une autre. Et puis en haut, en rouge, le pourcentage de victoires, les forfaits qu’on a pu renouveler ou activer. Ce chiffre qui déterminera le sourire du superviseur ce soir au débrief. Les yeux sur son écran où défile le texte à réciter, sans avoir l’air de le réciter, Anne Lacroix joue la fausse compassion, l’enthousiasme et la détermination. Un coup d’œil rapide à l’horloge au bout de l’open space, encore une heure avant la pause cigarette, avant de pouvoir enlever ce casque qui lui vrille les tympans à la fin de la journée.

Sa proie du moment, Monsieur Duval, est un retraité qui ne consomme qu’une dizaine de minutes par mois d’appels et n’envoie jamais de SMS. Il lui explique gentiment que son téléphone, c’est « juste au cas où », qu’il ne sait même pas vraiment s’en servir. Mais ça rassure aussi sa femme depuis qu’elle a eu cet accident, de pouvoir le joindre n’importe où. Dans ces moments où le client la touche particulièrement, parce qu’il est rare de tomber sur quelqu’un qui la traite avec bienveillance, la douceur de Marilou essaie de reprendre le dessus. Elle sait bien qu’Anne devrait profiter de la situation et ne pas éprouver de pitié pour ce monsieur. Ce n’est pas ce qu’on lui demande de faire, elle doit vendre coûte que coûte. Même si elle est consciente que ce forfait deux fois plus long et plus cher que celui qu’il possède déjà et qui ne convient pas du tout à ses besoins, il va le lui prendre juste parce qu’il n’aime pas dire non, juste pour lui faire plaisir. Son cœur se serre, elle hésite, elle se dit que ça fait partie de ce métier. Que si elle n’en accepte pas les conditions, elle va se retrouver sans travail pour élever ses deux enfants.

Page 58

« S’il y avait bien quelque chose qui le répugnait plus que tout, c’était l’injustice. A égalité avec le mépris. Comment deux filles aussi adorables, qui ne faisaient que le bien autour d’elles, qui faisaient leur petite vie sans embêter qui que ce soit. Comment ces deux filles pouvaient se faire agresser comme ça, en pleine rue, sous prétexte qu’elles s’aimaient. Benjamin avait d’autres amis homosexuels, et il avait déjà entendu des histoires de ce type, malheureusement. A chaque fois il avait été révolté et prêt à en découdre avec ces criminels qui leur avaient fait du mal. Mais quels lâches avaient pu attaquer deux femmes sans défense, les frapper, les souiller de cette manière si abjecte en leur crachant dessus. Comme si elles n’étaient rien. C’était tout simplement inacceptable. Il décida d’appeler de suite son ami Romain, membre d’une association de la ville qui s’occupait de ce genre d’attaque homophobe. Il n’allait pas laisser tomber ses amies dans un moment pareil. « 

Page 25

« Nina était la fiancée de Tom, une belle brune au tempérament assez volcanique, qui vivait dans la région parisienne. Benjamin avait assisté à plusieurs disputes et à quelques ruptures déjà, entre le chanteur et sa chérie, qui n’appréciait que moyennement les groupies qui dévoraient son amoureux des yeux pendant et après les concerts. Sans compter celles qui lui glissaient leur numéro de téléphone pendant les séances de dédicaces. La distance, bien sûr, n’arrangeait rien. Alors, quand elle venait dans le sud pour être avec lui, Tom s’arrangeait pour lui faire oublier sa jalousie, et la noyer sous ses attentions. »